Poésies inédites (1881)

Tu n’as plus qu’elle

Pourquoi pencher ton front, mon Amour éploré,
Et défendre ton cœur de l’espoir qui console ?
Pourquoi, cherchant dans l’ombre un refuge ignoré,
Répéter, tout en pleurs, cette seule parole,
La plus triste ici-bas après l’adieu, l’oubli ?
Ah ! prends garde à la foi qui t’a donné naissance,
Amour que le mystère et l’attente ont pâli,
Prends garde d’outrager à ta propre puissance.
Comme ces noirs oiseaux qu’appellent les hivers,
Comme ces sombres fleurs au parfum qu’on redoute,
Comme ces menaçants nuages dans les airs,
Comme tous les malheurs, le doute suit le doute.
Qui croit aux trahisons les mérite à moitié.
Crains de troubler par ta jalousie inquiète
L’innocence et la paix de la tendre amitié
Qui te prête son nom devant tous, et rejette
Sur toi son voile blanc pour te cacher aux yeux.
Tremble de faire peur à ta douce complice,
Et de tromper ses soins par tes cris furieux.
Elle a mis tout son miel dans ton secret calice,
Elle t’a tout donné, car elle ment pour toi.
Oh ! laisse-toi porter et bercer sur son aile,
Amour prêt à rugir de colère et d’effroi,
Oh ! ne la fais pas fuir puisque tu n’as plus qu’elle !

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