Poésies inédites (1881)

Tempête

I

O tristesse d’un cœur que tout frappe ! Amertume
D’un dévoûment qui s’offre et n’est pas accepté !
Ma lèvre, enfin rebelle à la satiété
De vos dégoûts, maudit la soif qui la consume.

Comme à ces toits de chaume où s’abat et s’allume
La foudre, où vous avez passé, rien n’est resté ;
Et, fléaux corrupteurs de la naïveté,
Vous changez tout en fiel, en sanie, en écume.

De vos saveurs de miel, douces au nouveau-né,
Le lait de ma nourrice était empoisonné ;
Et ce philtre fatal des espérances vaines,

Ce ferment de l’amour implacable et jaloux,
C’est l’âme de ma vie et le sang de mes veines !…
–O tourments que je hais, je suis donc tout à vous ?

II.

O tourments que j’adore, oubliez ma colère !
Prenez, liez mon cœur et vous le partagez ;
Je ne veux de l’amour avoir d’autre salaire
Que l’ineffable orgueil des maux et des dangers.

Au lieu du ciel serein qu’un jour égal éclaire,
Des bonheurs à mi-voix par l’ombre protégés,
La tempête me prend. Soit ! je saurai m’y plaire,
Et, tranquille, planer sur les vents insurgés.

L’aile se fortifie à s’ouvrir toute grande ;
Mon âme se retrempe au combat, et debout,
O tourments conjurés, elle vous pousse à bout.

Laissez pourtant ! il n’est vainqueur qui ne se rende,
Secret si sûr que nul ne sache devenir :
Qui se possède mieux pourra mieux se donner.

Les Ormes, août 186…

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