Poésies inédites (1881)

 

« C’est peu d’avoir souffert si l’on n’a pas aimé. »
(V. De Laprade)

(Rosa Mystica)

Quand je pense à ma vie, un grand ennui me prend,
Et j’ai pitié de voir ma jeune destinée
S’effeuiller, solitaire, année après année,
Comme une fleur des eaux qu’emporte le courant.

Je ne m’en émeus plus, ni trop ne m’en étonne,
Car je sais quels débris roulent les plus purs flots,
Et dans un même accord quels déchirants sanglots
Ils mêlent si souvent à leur chant monotone.

C’est la loi de tout être, et j’y cède à mon tour,
Honteuse seulement qu’à tant de fier courage
S’offrent, toujours pareils, l’écueil et le naufrage,
Et sans comprendre mieux qu’on survive à l’amour.

De quoi donc notre cœur est-il fait, qu’il résiste,
Qu’il saigne et puisse encor trouver un battement
De tendresse et de joie, après ce long tourment,
Lorsqu’il se sent au fond si cruellement triste ?

Pardonner, accepter, est-ce donc moins souffrir ?
Lequel montre dans l’homme un plus beau privilège,
Celui qui s’abandonne au regret qui l’assiège
Ou celui qui combat pour vaincre ou pour périr ?

Que nous vaut cependant le prix de la victoire ?
Que faisons-nous jamais de notre liberté ?
Où trouver ici-bas le calme souhaité ?
À quoi bon se défendre ? hélas ! à quoi bon croire ?

Quand le vent de sa tige a détaché la fleur,
Elle suit quelque temps le torrent qui la berce ;
Sa coupe de parfums au soleil se renverse,
Et la fraîcheur de l’onde avive sa couleur.

Le voyageur lassé, l’oiseau dont l’aile plie,
Demandent : Où va-t-elle ? et l’appellent du bord,
Tandis qu’elle descend tranquille et sans effort
Vers la rive où tout meurt, dans l’ombre où tout s’oublie.

Les Ormes, juin 187…

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