Louisa Siefert : Objection
Poésies inédites (1881)
Objection
Pourquoi voir et montrer de si hideuses plaies ?
Dans leur réalité ces choses sont trop vraies ;
Mieux valait nous les épargner.
Les hommes sont ainsi, qu’au tableau de leurs crimes,
Ils cherchent si l’artiste en peignant leurs victimes
À bien su les faire saigner.
Ils compteront les pleurs, s’ils ne tournent la tête,
Et bientôt ils vaincront, ô trop hardi poète !
La fière audace qui te prend,
Et qui, te jetant seul dans leur sanglante lice.
T’anime à revancher le droit et la justice
Sur l’égoïsme indifférent.
Quand tu nous apparus, ta verveine pâlie,
Décelant les parfums de ta mélancolie,
T’avait gagné nos cœurs navrés ;
Ta main tenait le lis amoureux et candide,
Qu’aiment l’oiseau peureux et la vierge timide,
Le lis des rêves ignorés.
C’était charmant comme une automne trop hâtive,
Et nous aimions pour toi, jeune fille plaintive,
Ces ciels voilés, roses et bleus.
Mais ta verveine tombe, et le lis plein de larmes
Echappe de ta main qui veut saisir les armes
Des héros au bras musculeux.
Ah ! fuis l’ambition, le grand jour, le tumulte,
Viens-nous dire la femme et rends-nous à son culte
De plus forts que toi combattront
Pour le devoir sacré, pour la pensée austère ;
Toi, chante seulement et ne sois du mystère
Qu’avec des clartés sur le front.
Ne souille pas tes yeux par de si vils spectacles,
N’use pas ton courage à franchir des obstacles
Dangereux même à ton honneur.
Ta voix se fausserait aux cris des misérables,
Dis-nous ton cœur, enfant, et ses maux adorables,
Et garde-toi pour le bonheur.