Poésies inédites (1881)

L’orage

« Bien lasse de vouloir, bien lasse de subir. »
(F. Coppée)

Si je voulais chanter, ma voix se briserait,
Comme celle des fous, dans le rire et les larmes.
Mon bras, tout las qu’il est, se crispe sur ses armes,
Ma lèvre resserrée a gardé son secret ;
Si je voulais chanter, ma voix se briserait.

Je sens encor le froid du fer dans ma blessure ;
La pourpre de mon sang a teint les buissons verts.
Que dirai-je à l’écho qui demande des vers,
Quand ma force est usée et ma défaite sûre ?
Je sens encor le froid du fer dans ma blessure.

Sans entrevoir de but, j’erre par les chemins,
Tel qu’un grain de sable ou qu’une feuille morte,
Courant tous les hasards, fuyant de porte en porte,
Sans tenir rien des jours ni croire aux lendemains ;
Sans entrevoir de but, j’erre par les chemins.

Vainement quelques-uns ont pleuré sur ma trace,
Et d’autres m’appelaient dont l’amour fut témoin :
J’ai passé dans le vent qui m’emportait plus loin ;
La nuit seule a reçu l’aveu de ma disgrâce ;
Vainement quelques-uns ont pleuré sur ma trace.

Mon berceau fut marqué par la fatalité :
L’orage, qui grondait, terrible, à ma naissance,
M’a pour jamais dès lors soumise à sa puissance ;
Avec le premier cri qu’au monde j’ai jeté
Mon berceau fut marqué par la fatalité.

Solitude du cœur, ô ténèbres de l’âme !
Je devine à présent ce qu’il vous faut de moi ;
Mais j’échappe à votre œuvre et brave votre effroi,
Car je suis un enfant du souffle et de la flamme,
Solitude du cœur, ô ténèbres de l’âme !

Pau, 8 janvier 187…

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