Louisa Siefert : Insomnie
Poésies inédites (1881)
Insomnie
Comment me délivrer de ma propre pensée
De ce fardeau si lourd dont je suis harassée.
L’ayant traîné partout ?
Sous le poids de mon front ma main trop faible plie,
Et le noir flot montant de la mélancolie
M’abreuve de dégoût.
À quoi bon tant chercher et désirer sur terre ?
Le plus sage, ô mon cœur, est encor de se taire,
Le meilleur de dormir.
Que n’es-tu déjà mort et réduit en poussière !
Je ne connaîtrais plus ni doute ni prière,
Ces mots qui font blêmir !
J’aspirerais par toi la fraîcheur de la tombe,
Jusqu’à ce qu’à mon tour, comme une pierre tombe
À l’abîme béant,
Je remportasse enfin notre unique victoire,
Et, couchée au cercueil, j’y pusse à jamais boire
L’oubli dans le néant.
Mais, ô lâche obstiné qui préfères la vie
Au grand repos, qui seul devrait te faire envie,
Tu n’en veux pas finir,
Et tu dis : Pourquoi donc vouloir devancer l’heure ?
Le vent sèche les yeux de tout enfant qui pleure,
Le soleil va venir !
— Non, il est des printemps maudits, sans fleur ni feuille,
Que la pluie assombrit et la gelée endeuille,
Des étés inféconds,
Des automnes sans fruit qui mûrisse à la treille,
Des hivers sans foyer et sans flamme vermeille,
D’infernales saisons.
Ne l’as-tu pas compris à voir combien d’années
Ont ainsi disparu comme des condamnées,
Qui naissaient pour mourrir ?
O misérable cœur, trop crédule Tantale !
D’un espoir si menteur, d’une soif si fatale,
Ne peux-tu pas guérir ?
Que me sert cependant de parler de la sorte,
Pauvre âme que je suis, et de faire la forte,
Et de prendre un ton fier,
Quand même avant que l’aube à l’orient rougeoie,
Ma colère en fuyant va me laisser en proie
À mon amour d’hier ;
À cet amour qui brave et dompte toute épreuve,
Et traverse mes jours tel qu’un immense fleuve
Plein d’ombre et de rumeurs ;
À cet amour cruel qui me traite en esclave,
Dont je baise les coups, dont je bénis l’entrave,
Dont je vis et je meurs !