Poésies inédites (1881)

Idylle Française

(Historique)

Publiée dans la Muse républicaine.

1874.

« C’est que c’était l’hiver et que c’est le printemps. »
(Victor Hugo)

Pauvre conscrit français, malade et prisonnier,
En Prusse retenu peut-être le dernier,
Qui passait tristement, comme le vaincu passe,
À pied, seul, misérable au travers de l’Alsace,
Et n’osait même plus relever son front lourd
Lorsque, pâle et sans pain, il s’assit à Strasbourg,
Sur la place Kléber, au bas de la statue !
La fatigue pesait à son âme abattue
Moins que le désespoir de tout ce peuple en deuil,
À qui l’étranger fait du pays un cercueil ;
Et la dent de la faim le mordait aux entrailles,
Moins que le souvenir des dernières batailles.
« Quoi ! pensait-il, la France est donc si loin d’ici ! »
Or, comme sur la pierre il demeurait transi,

Sans voir de beaux enfants qui menaient là leurs rondes,
L’aînée, une fillette aux longues tresses blondes,
Aux grands yeux bleus profonds, pleins de cette douceur
Que le soin des petits donne à la grande sœur,
Le vit et devina. Sans dire une parole,
Elle prit le panier qu’elle avait pour l’école,
En tira son morceau de pain, son pot de lait,
Et vint les présenter à celui qui souffrait.
Lorsqu’il eut mangé tout, leurs regards se croisèrent,
Et riant, et pleurant, soudain ils s’embrassèrent :
« Au revoir ! » disait-elle. — « Attends-moi! » disait-il,
Si bien que le départ leur parut un exil.

O patriote fier qui mourus pour la France,
Héros dont le nom seul réveille l’espérance,
Type jeune et joyeux de tous les dévoûments,
Toi qui fus le témoin de leurs naïfs serments.
Oh ! dis, n’est-il pas vrai que tu tressaillis d’aise,
Que cette idylle émut ta grande âme française,
Kléber, et qu’emporté comme aux jours d’autrefois,
Quand tu couvrais le bruit du canon de ta voix,
Superbe, et tel qu’un dieu de la légende épique,
Tu crias jusqu’au ciel : Vive la République !

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