Poésies inédites (1881)

Foi

« La sagesse se trouve sur les lèvres de l’intelligent. »
(Proverbes, X, 13)

Que dirons-nous, mon cœur, à ces mille tourments
Qui me rendent soudain à ma vie inquiète,
Et réveillent en moi les souvenirs dormants ?

Sur quel nouvel espoir d’assez solide assiette
Dresserons-nous encor nos projets d’avenir.
Et nous bâtirons-nous une sûre retraite ?

Si tout fruit doit tomber, toute fleur se ternir,
Tout printemps faire place à l’automne, quel rêve
Dans la réalité ne viendra pas finir ?

On l’a dit : ici-bas jamais rien ne s’achève,
Rien n’échappe au hasard, puisqu’il faut qu’aujourd’hui
Meure éternellement pour que demain se lève.

L’inconnu nous entraîne et nous soumet à lui,
O mon cœur ; pourquoi donc d’inutiles révoltes ?
Pourquoi chercher ailleurs qu’en toi ton point d’appui ?

Le plus rétif cheval, après cent et cent voltes,
En vain ronge le frein qui met sa bouche en sang,
Il aide en sa fureur au travail des récoltes ;

Puis, dompté sous le fouet, près du bœuf mugissant,
Il creuse le sillon pour la sainte semence,
Tandis que le froid vient et que la nuit descend.

Et l’homme, qui préside à ce labeur immense,
Pauvre atome ignoré qui fait œuvre de Dieu,
Machinal et muet, tous les ans recommence.

Ainsi chacun travaille et concourt peu à peu,
Pour sa minime part, à l’accord harmonique
Des lois de l’univers et des forces en jeu.

O justice ! ô destin ! C’est le secret unique
Que l’être humain apprend de la création,
Et sans lequel la vie est une chose inique.

Il n’est pas un désir, pas une passion
Dont le monde, ô mon cœur, ne nous offre l’image :
Car tout est changement et transformation.

La nature est le livre où se lit, page à page,
L’immuable réponse à l’éternel Pourquoi ?
Si bien qu’à son école on devient fort et sage.

Et l’on comprend enfin qu’en écoutant en soi
Chanter l’hymne d’amour et de mansuétude,
On peut avec raison se refaire une foi ;

Non la foi du passé qui repoussait l’étude
Et qui tremblait toujours au souffle de l’esprit,
Mais celle dont le doute acquiert la certitude.

Ah ! que tout ce qui tombe, et tout ce qui périt,
De nous donc se détache, et disparaisse, et meure !
Un autre mot pour nous dans l’espace est écrit,

Mot de ce qui subsiste et de ce qui demeure,
Dogme nouveau, formule au verbe souverain,
Idéal grave et pur qui rend l’âme meilleure.

Et viennent à présent l’épreuve et le chagrin,
Viennent les longs ennuis et les peines sans nombre,
Nous les regarderons avec un œil serein.

Nous dirons au malheur : Je vois dan ta nuit sombre ;
Au désespoir amer : J’ai jeté tout mon fiel !
Et nous avancerons, de décombre en décombre,

Les mains pleines de paix et le front plein de ciel.

Octobre 187…

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