Poésies inédites (1881)

Ce que j’aime

J’aime les choses régulières
Que tous les jours, comme aujourd’hui,
On fait, lentes et familières,
Sans nul plaisir, sans nul ennui.

J’aime les vieilles habitudes
Qu’on observe sans y songer,
Et les monotones études
Qui n’ont ni charme ni danger.

J’aime une même promenade
À mi-coteau, par un temps gris,
En un lieu ni gai, ni maussade,
Où rien ne frappe l’œil surpris.

Pour horizon, j’aime une plaine
Unie, avec des champs de blé,
Pour musique une cantilène
Un rythme à peine modulé.

J’aime une saine poésie;
Sans lyrismes exagérés ;
J’aime un amour sans jalousie,
Aux lendemains bien assurés.

J’aime une bonne humeur sereine,
À l’entretien juste et discret,
Sans passion comme sans haine,
Sans désir comme sans regret.

J’aime une calme et simple vie
Que l’imprévu ne trouble pas,
Route par les aïeux suivie,
Qu’on suit après eux pas à pas.

J’aime enfin tout ce qu’à toute heure
Mon existence a démenti,
But qu’en passant parfois j’effleure,
Où je n’ai jamais abouti ;

Idéal casanier qui semble
À mon cœur las de le chercher,
L’heureuse oasis dont je tremble
De ne pas pouvoir approcher ;

Rêve que moi-même peut-être,
Lorsqu’il s’offrait, j’ai repoussé,
Et ne saurai pas reconnaître
Plus à l’avenir qu’au passé !

Les Ormes, août 1875.

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