Louisa Siefert : Bataille perdue
Poésies inédites (1881)
Bataille perdue
Au fond, ce qui domine en moi, c’est le dégoût,
C’est l’ennui, c’est la lassitude.
Le curieux vivait pour vivre jusqu’au bout :
Je ne vis que par habitude.
Mon premier mouvement m’étonne chaque jour ;
Est-ce à moi qu’apparaît l’aurore ?
Puisque mon cœur est mort, il l’est bien sans retour,
Comment donc peut-il battre encore ?
Je n’ai plus de désirs, à peine des regrets ;
Rien ne m’irrite ou ne me tente ;
Sur mon chemin fatal il n’est pas de retraits
Où je puisse dresser ma tente.
Les bonheurs sont perdus, les rêves dispersés,
Les fleurs de l’idéal coupées.
Au champ de ma défaite ils restent entassés
Ainsi que des tronçons d’épées ;
Et, morne, je poursuis sans relever le front
Ma course à travers ces ruines,
Heurtant à chaque pas quelque nouvel affront,
Quelque autre couronne d’épines,
Que j’accepte en silence et cache dans mon cœur,
Pour que personne ne les voie,
Tandis que j’entends rire et chanter le moqueur
Dans le fol oubli de sa joie !
Les Ormes, août 187…