Poésies inédites (1881)

À un ami

Oh ! dites-moi comment notre cœur peur s’ouvrir,
Après de si grands deuils, à de nouvelles joies ;
Comment on peur aimer encore, et, sans mourir,
Voir les morts toujours chers joncher toutes nos voies.

Dites-moi ce qui fait que pour croire et prier
Il suffit d’une larme à nos yeux revenue ;
Que, dès qu’en nous l’orgueil a cessé de crier,
La plus âpre douleur s’épure et s’atténue.

Dites-moi d’où revient la paix à notre esprit,
D’où renaît le sourire, et sur notre blessure
De quelle urne est tombé le baume qui guérit,
O vous, dont l’âme est douce et la parole sûre !

Le jour où vous m’avez rencontrée en chemin,
Tous deux tristes et las d’un but sans espérance,
Vous m’avez dit : Ma sœur ! et m’avez pris la main.
Hélas ! vous aviez tant vécu par la souffrance !

Côte à côte à présent nous pouvons nous asseoir,
Et lentement pencher nos fronts lourds l’un vers l’autre,
Tandis qu’autour de nous flotte l’ombre du soir,
Et que tout bas répond ma pensée à la vôtre.

Car, pour créer plus vite à notre initimité
Le passé sans lequel la fleur est sans racine,
Il faut qu’au souvenir le voile soit ôté,
Et que vous me sachiez comme je vous devine.

L’épreuve a des secrets que vous avez appris :
Quand vous me les aurez un à un fait comprendre,
Moins rude, sous mes pieds fatigués et meurtris,
Sera le long chemin que je devrai reprendre.

Et peur-être pour vous trouverai-je à mon tour
Quelque mot inspiré des tendresses divines
Dans l’amitié qui vient consoler de l’amour,
Et nous rend son parfum sans avoir ses épines.

Les Ormes, juin 187…

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