Louisa Siefert : Au Luxembourg

Pendant que nous passions dans celte jaune allée,
Que le ciel était doux d’une clarté voilée,
Que des parfums montaient lentement de ces fleurs,
Dont la brume d’automne a terni les couleurs ;
Pendant que sous nos pieds volaient les feuilles sèches,
Et que, dans le bassin, comme un faisceau de flèches,
Sur l’eau grise dormaient quelques longs rayons blancs ;
Pendant que, vous et moi, nous marchions à pas lents,
Qu’il semblait que le vent nous poussât à sa guise ;
Pendant que dans vos yeux dont le regard s’aiguise
Et vient fouiller mon cœur, moi-même je plongeais,
Et sous un air d’enfant je vous interrogeais,
Maître, étions-nous heureux ? — Un incertain sourire,
Lorsqu’il nous arrivait de rester sans rien dire,
Errait de votre bouche à la mienne, pareil
À ces oiseaux frileux qui cherchent le soleil,
Et qu’on voit le matin, de leurs ailes timides,
Battre au creux du vallon l’ombre des nuits humides ;
Ou, comme aux premiers jours de nos jours amoureux,
Vous parliez, j’écoutais.–Maître, étions-nous heureux ?
Pourtant j’avais ce doute à cette heure-là même,
Et vous vous demandiez : Est-ce vrai qu’elle m’aime ?

Tandis que nous passions lentement, tout pensifs,
Sous les vieux marronniers taillés comme des ifs.

Ah ! croyez-moi, l’amour dans les meilleures âmes,
Incendie, où la cendre étoufferait les flammes,
Ne peut toujours brûler sans air ni liberté.
Le moment vient où, las, triste et désenchanté,
Le voyageur s’assied au milieu de la route,
Où le soldat n’est plus honteux de sa déroute,
Tant il est harassé d’un combat impuissant.
Où le flot se retire, où le feu redescend,
Où la nuit tombe, avec l’oubli, puis le silence !
– Pourtant, je sais aussi que cette nonchalance,
Cet abandon, ce mol et fuyant entretien
Sont de l’intimité le plus souple lien,
Qu’une lèvre discrète a la voix bien plus douce,
Que la main serre mieux celle qui la repousse,
Et qu’il est un bonheur charmant et douloureux
Même à vous demander : Maître, étions-nous heureux ?

Paris, octobre 187…