Poésies inédites (1881)

À Lyon

APPEL À LA LIBÉRATION DU TERRITOIRE

Publié dans le Journal de Lyon, 25 février 1872

« Consolez, consolez mon peuple. »
(Esaïe XL, v. i.)

Les filles de mon peuple ont pleuré leur patrie.
Assises dans le deuil au seuil de leur maison,
Dont l’étranger vainqueur leur fait une prison,
Elles ont relevé leur tête endolorie
Et tourné tristement leurs yeux à l’horizon.

L’Alsace et la Lorraine ont regardé la France,
Ce pays qui fut leur et qu’elles ont perdu.
Le cri qu’on y poussait, elles l’ont entendu,
Car le même fléau, qui cause leur souffrance,
Autour d’elles en cercle est toujours étendu.

Mais voyant qu’on pouvait racheter cette proie
Au vampire altéré de sang et gorgé d’or,
Leur amour filial a repris son essor ;
Elles ont tressailli d’une sublime joie
Et puisé jusqu’au fond de leur secret trésor.

« Tu ne nous avais pas tout pris, barbare avide,
« Et nous te réservions cette austère leçon :
« Dans le champ paternel, au jour de la moisson,
« Il n’est pas une main française qui soit vide.
« Nous lierons notre gerbe et paierons la rançon.

« Notre mère était riche autant que généreuse.
« Elle aimait entre tous ses blonds enfants du Nord.
« Rien n’a pu rompre en nous ce doux lien si fort ;
« Nous ne l’oublierons pas lorsqu’elle est malheureuse ;
« Nous souffrirons pour elle et l’exil et la mort.

« Et nous affirmerons nos espoirs et nos haines,
« Et le serment hardi de nos fidélités,
« Jusqu’à ce que ton aigle et tes fils détestés
« Soient rentrés dans la nuit des vengeances prochaines
« Et que le coq gaulois chante dans nos cités. »

Les filles de mon peuple ont acclamé leur mère ;
Toutes à leur foyer sont debout à la fois ;
Et par-dessus les monts, les plaines et les bois,
Comme un hymne dolent de plainte et de prière,
Les souffles du matin nous apportent leur voix.

L’Alsace et la Lorraine ont uni leurs misères
Pour nous venir en aide et nous tendre les bras ;
Sur la route de France elles ont fait un pas,
Et, bravant le maudit qui les tient dans ses serres,
Elles nous ont crié « Ne nous oubliez ! »

O noble et fier Lyon, si beau dans les épreuves
Qui sembles tour à tour boire à tes deux grands fleuves
Le courage et la charité ;
Dont les fils ont sauvé sur la terre des larmes
Le dernier boulevard qu’y possèdent nos armes ;
Lyon superbe et redouté,

Toi, que Belfort rattache à Strasbourg l’héroïque,
Que Metz vendue envie, et dont le cœur stoïque
Là-bas tint ferme contre tous ;
Toi, dont l’outil léger s’aiguise en fer de lance,
O toi, dont la largesse égale l’abondance,
Travailleur de gloire jaloux ;

Et vous, femmes surtout et partout renommées,
Que les soldats navrés de nos pauvres armées
Ont si bien appris à bénir,
À l’appel de vos sœurs n’allez-vous pas répondre,
Et dans un même élan patriotique fondre
Votre espoir et leur souvenir ?

N’écouterez-vous pas leur voix qui vous exhorte ?
« Faisons la France libre afin qu’elle soit forte ;
« Acquittons sa dette aujourd’hui ; 
« L’avare et dur geôlier, qui la charge d’entraves,
« Renonce à la garder au rang de ses esclaves ;
« O mes sœurs, rachetons-la-lui ! »

L’heure du sacrifice est pour toutes venue ;
Aurez-vous le remords de l’avoir méconnue
Ou de n’y céder qu’à demi,
Quand de la Meuse au Rhin, des Vosges aux Ardennes,
Tous ont multiplié leurs offrandes soudaines
Sous l’œil même de l’ennemi ?

Ne donnerez-vous pas votre or et vos parures,
Pour qu’elle se redresse et bande ses blessures,
La guerrière aux bras désarmés ?
Ne lui rendrez-vous pas l’air pur qu’elle demande
Pour marcher en avant plus puissante et plus grande,
Et délivrer les opprimés ?

Ah ! rapprochons ainsi le jour de la justice ;
Laissons ce qui divise et ce qui rapetisse ;
Menons le grand deuil en commun ;
Que le pauvre et le riche, et l’enfant et la femme,
Arrachant la patrie à l’oppresseur infâme,
Mêlent tous les efforts en un.

Lyon républicain, apporte ton obole ;
Lyon religieux, montre quelle est ta foi.
Celles qui gémissaient dans l’angoisse et l’effroi,
Comme la veuve en pleurs de la sainte Parole,
Ont pris leur nécessaire et l’ont mis devant toi.

Donne comme on donnait aux temps de fanatisme ;
Donne avec piété, donne avec passion ;
Et, croisade, réforme ou révolution,
Que chaque mot résonne en rappel d’héroïsme,
Que chaque souvenir te soit un aiguillon !

Songe que l’œuvre immense est bien loin d’être faite,
Que nos sœurs sont aux mains des Allemands haïs,
Qu’ils sont encor campés dans nos champs envahis,
Et qu’il toujours vrai cri du vieux prophète :
« L’étranger règne en maître au cœur de ce pays ! »

Hélas ! des ans sans nombre ont passé sur le monde,
Et nous avons pleuré, pleuré comme autrefois.
Notre gloire est tombée, et la France aux abois
Demande ses enfants et veut qu’on lui réponde.
« Consolez, consolez mon peuple, » dit la voix.

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