Élisa Mercœur : À M. de Chateaubriand
Poésies de Mlle Élisa Mercœur (1829)
À M. de Chateaubriand
Foyer secret du cœur, invisible pensée,
Au douteux avenir livre mes premiers chants.
Que ta voix est tremblante ! Ose donc, insensée :
L’oreille qui s’incline entendra tes accents.
Mais l’aurore au midi ne saurait être égale ;
Le ciel n’est embrasé qu’à l’exil du printemps :
Mon âme, de tes feux comble cet intervalle ;
Vieillis-moi, s’il se peut, et dérobe le temps.
Quoi ! pas un de mes jours n’a laissé de mémoire ?
Quoi ! mon nom reste encor dans l’ombre enseveli ?
Ah ! pour moi chaque instant s’écoule sans gloire
Est un siècle fané par la main de l’Oubli !
Mais toi, chantre sublime , à la voix immortelle,
Demain, si tu l’entends, la mienne qui t’appelle
Aura des sons plus purs que ses chants d’aujourd’hui.
Ainsi l’on voit le faible lierre
Mourir lorsqu’il est sans appui :
Si le chêne lui prête un rameau tutélaire,
Il s’attache, il s’élance, il s’élève avec lui.
Voyez de ce roseau trembler la faible cime,
Au moindre souffle il penche et frémit sur l’abîme.
Ah ! bravons l’aquilon qui le vient agiter !
S’illustre-t-on jamais quand on n’ose monter ?
Le cèdre s’est caché sous le voile de l’herbe,
Avant qu’arbre géant il grandit à nos yeux ;
Il monte encor, son front superbe
S’étend, et s’approche des cieux !
Passagers d’un moment, sans effroi du naufrage
Gaîment de notre asile abandonnons le seuil.
Eh ! qu’importe, après tout, que, pendant un orage,
Notre vaisseau brisé nous jette sur l’écueil !
Sur les flots moins émus si notre voile flotte,
Passons, mêlons un hymne aux chansons du pilote.
À toi-même, dans ton matin,
Le Bonheur qui fuyait oublia de sourire ;
Subjugué maintenant par les sons de ta lyre,
Ce Bonheur tant rêvé s’attache à ton destin.
Par un instinct inné qui dispose de l’âme,
Ta voix, qui s’unissait aux longs soupirs des mers,
Surprenant dans ton cœur des pensers pleins de flamme,
Dans les temps d’infortune a trouvé des concerts.
Tu rejetas le fruit qui meurt lorsqu’on le cueille ;
La gloire pour ton front laissait croître un laurier ;
Marchant sans regarder le gazon du sentier,
Tu méprisas la fleur qui sous le pied s’effeuille.
Par toi, la Vérité, comme un divin flambeau,
S’échappa de la nuit du silence et du doute ;
Et pour lever les yeux vers la céleste voûte,
L’Ignorance vaincue arracha son bandeau.
Ton luth aux nobles sons par un vent du caprice
Lorsque tu le touchais ne fut point agité ;
Sa corde, que jamais n’effleura l’injustice,
Eut même dans l’exil des chants de liberté.
Mais il est des moments où la harpe repose,
Où l’inspiration sommeille au fond du cœur,
Où les gouttes du ciel qui baignaient une rose
En séchant par degrés n’humectent plus la fleur.
Dans ces instants de rêverie,
Où ton luth sans accords est muet sous tes doigts,
Comme un son fugitif de quelque note amie
Accueille doucement un accent de ma voix.
Caresse le présent au nom de l’espérance,
Songe au peu de saisons que j’ai pu voir encor,
Et combien peu ma bouche a puisé d’existence
Dans le vase rempli dont je presse le bord.
Tends une main propice à celui qui chancelle ;
J ’ai besoin, faible enfant, qu’on veille à mon berceau ;
Et l’aigle peut, du moins, à l’ombre de son aile,
Protéger le timide oiseau.