Élisa Mercœur : Préface de l’éditeur
Poésies de Mlle Élisa Mercœur (1829)
Préface de l’éditeur
La première‘ édition‘ des Poésies de made moiselle Élisa Mercœur, publiée à Nantes, en 1827, par les soins de M. Mellinet-Malassis, imprimeur-libraire, a été accueillie par ses compatriotes avec un si vif empressement, qu’à peine quelques exemplaires ont pu franchir les limites du Département qui a vu naître l’auteur. Publiées successivement dans différents Journaux littéraires, ses premières productions n’avaient pas seulement inspiré l’intérêt qui devait s’attacher au sexe et à la jeunesse du Poète, mais elles avaient fixé l’attention des principales Sociétés littéraires de nos Départements et celle des hommes de lettres les plus distingués de la capitale.
Il serait peut-être permis à l’Éditeur d’une nouvelle édition des Poésies de mademoiselle Élisa Mercœur de joindre ici ses éloges à ceux qui lui ont été prodigués depuis son début dans la carrière poétique , surtout lors qu’il les exprimerait de conviction ; mais les panégyriques en forme de préface , dont on a trop souvent abusé, ont perdu depuis quel que temps toute influence sur le jugement des lecteurs , qui n’oublient pas sans doute ces vers de notre Fabuliste :
Il ne faut jamais dire aux gens :
Écoutez un bon mot, oyez une merveille !
Savez-vous si les écoutants
En feront une estime à la vôtre pareille ?
Liv. xi, F. 9
Le nouvel Éditeur se contentera de faire connaître au public l’historique des distinctions, honneurs et récompenses littéraires qui sont venus trouver, de toutes parts, la jeune Nantaise, et qui ont été pour elle aussi précoces que son talent ; il se permettra même de remontrer, avec tous les égards et le respect qu’un imprimeur doit au génie qui donne le mouvement à ses presses, que plus ces distinctions, ces honneurs, ajoutent d’éclat à la réputation d’un auteur, plus ils lui imposent d’obligations pour se rendre digne des suffrages du public éclairé, qui seul consolide ou fait évanouir toutes les renommées.
Mademoiselle Élisa Mercœur est née à Nantes , le 24 juin 1809, et la première pièce de son Recueil date du mois d’octobre 1825, lorsqu’elle avait à peine seize ans. Ce ne fut pas seulement dans sa ville natale que ses rares dispositions furent remarquées : en 1826, l’Académie provinciale Lyon, qui venait d’être établie, admit mademoiselle Mercœur au nombre de ses Membres-correspondants. La jeune Académicienne, pour exprimer sa reconnaissance à cette Société, lui fit hommage de la pièce intitulée la Pensée, qu’elle accompagna de la lettre suivante : .
« Rivaliser de gloire avec ces Muses aimables et célèbres dont la patrie s’enorgueillit, en adoptant tous leurs succès, n’a point été mon espérance ; mais j’ai éprouvé un sentiment d’orgueil, en songeant que mon nom pourrait trouver une place auprès de leurs noms chéris. Cette espèce de rapprochement est la première feuille de ma couronne littéraire. Puissent, à l’avenir, des suffrages mérités joindre quelques lauriers à cette feuille précieuse !
« Union et Tolérance, telle est la devise a qu’a choisie l’Académie provinciale : un sourire et son indulgence, telle est la prière que je lui adresse aujourd’hui ! »
Au mois de mai de 1827, mademoiselle Mercœur reçut le diplôme de Membre-correspondant de la Société Académique de la Loire-Inférieure, qui dérogea en sa faveur à ses règlements , puisque aucune femme résidant à Nantes n’avait jusqu’alors obtenu cette distinction. Après la publication de ses Poésies, la Société Polymatique du Morbihan ajouta un nouveau lustre aux succès littéraires de mademoiselle Mercœur, en la recevant au nombre des Membres de cette Société.
De nouveaux encouragements et d illustres suffrages accueillirent ce premier Recueil de Poésies. M. de Chateaubriand, à qui l auteur l’avait dédié comme au plus illustre de ses compatriotes, lui adressa des remercîments, qu’il exprime en ces termes :
« Paris, le 18 juillet 1827.
« Si la célébrité, Mademoiselle, est quelque a chose de désirable, on peut la promettre, sans crainte de se tromper, à l’auteur de ces vers charmants :
Mais il est des moments où la harpe repose,
Où l’inspiration sommeille au fond du cœur….
« Puissiez-vous seulement, Mademoiselle, ne regretter jamais cet oubli, contre lequel réclament également votre talent et votre jeunesse ! Je vous remercie, Mademoiselle, de votre confiance et de vos éloges ; je ne mérite pas les derniers, je tâcherai de ne pas tromper la première. Mais je suis un mauvais appui ; le chêne est bien vieux, et il s’est si mal défendu des tempêtes, qu’il ne peut offrir d’abri à personne.
« Agréez de nouveau, je vous prie, Mademoiselle, mes remercîments et les respectueux hommages que j’ai l’honneur de vous offrir.
« CHATEAUBRIAND. »
Cette réponse, empreinte d’un sentiment si pénible, dut faire naître de tristes réflexions dans l’esprit de mademoiselle Mercœur, en lui montrant que le protecteur qu’elle s’était flattée de trouver dans l’un des plus beaux génies dont s’honore la France avait été lui-même frappé par l’adversité, trop fidèle compagne des grandes illustrations.
Un autre hommage rendu au talent de notre jeune Poète dut toucher bien différemment son cœur, lorsqu’on lui fit connaître le sentiment de l’auteur des Méditations sur ses premières productions. M. de Lamartine écrivait de Florence, en date du 9 octobre 1827, à un littérateur de ses amis, qui lui avait envoyé les Poésies de mademoiselle Mercœur :
« J’ai lu avec autant de surprise que d’intérêt les vers de mademoiselle Mercœur, que vous avez pris la peine de me copier. Vous savez que je ne croyais pas à l’existence du talent poétique chez les femmes : j’avoue que le Recueil de madame Tastu m’avait ébranlé ; cette fois je me rends ; et je prévois, mon cher, que cette petite fille nous effacera tous tant que nous sommes. »
Tant d’honorables encouragements, tant de preuves d’estime, d’intérêt et de bienveillance, ne pouvaient rester sans effet sur le cœur d’une jeune personne animée du génie poétique. En couvrant de fleurs ses premiers pas dans la carrière, en excitant dans son âme une noble émulation, ces éloges, ces hommages, ces couronnes académiques, donnaient à mademoiselle Mercœur plus de confiance dans ses forces, plus de courage pour se livrer à l’étude et consacrer son existence au culte des Muses ; mais, peu favorisée de la fortune, inquiète sur son avenir, privée de cette tranquillité d’esprit si nécessaire pour assurer la perfection des travaux littéraires, elle pouvait voir s’écouler les plus belles années de sa vie, aux prises avec les rigueurs de sa position, s’il ne se fût trouvé un Mécène, vraiment digne de ce nom, par ses hautes fonctions, par la noblesse de ses sentiments, et par son amour pour les lettres. Mademoiselle Mercœur fit parvenir au Ministre de l’Intérieur, M. le vicomte de Martignac, un exemplaire de ses Poésies. « Ce Ministre, qui, depuis le jour même de sa nomination, n’a cessé de se montrer le protecteur éclairé de ceux qui cultivent les lettres et les beaux-arts », lui fit cette réponse :
« J’ai lu avec beaucoup d’intérêt, Mademoiselle, l’ouvrage que vous avez bien voulu me faire connaître ; et je vous adresse à la fois, et mes remercîments, et mes compliments empressés. La Gloire, que vous avez si noblement chantée, ne sera point ingrate ; vous vous êtes arrangée de manière à en jouir long-temps, et vous devez espérer de désarmer l’envie, parce que votre jeunesse obtiendra grâce pour votre talent. Je ne puis faire avec vous un échange de beaux vers ; mais je vous envoie la collection du Musée français, par Filhol, et je vous prie de l’accepter comme un témoignage de l’intérêt bien réel que je prends à vos succès.
« Recevez, Mademoiselle, l’hommage de mon respectueux dévoûment.
« DE MARTIGNAC.
« Paris, le 12 août 1828. »
Cet envoi des chefs-d’œuvre de la Peinture, si heureusement choisi et approprié par le Ministre pour favoriser les inspirations du Poète, n’était que le prélude des encouragements qu’il lui réservait encore. Déjà nos Princes, qui répandent des bienfaits partout où il y a des talents à protéger ou des infortunes à soulager, avaient accordé à mademoiselle Mercœur, le Roi, une pension sur sa cassette ; MADAME, duchesse de Berry, une honorable gratification. Enfin, M. le Ministre de l’Intérieur n’a pas tardé à réaliser la promesse qu’il lui avait donnée d’augmenter, à Paris, la pension qu’il lui avait faite à Nantes.
Elle est donc heureuse aujourd’hui, et tranquille sur son avenir. « Je vais travailler à force, écrit-elle à son Éditeur de Paris ; j’ai du courage maintenant. » Ses nobles Bienfaiteurs jouiront de son bonheur et de sa reconnaissance ; et le Public jouira aussi de leurs bienfaits, en lisant les morceaux remarquables contenus dans ce nouveau Recueil, et les ouvrages de plus longue haleine qu’il a droit d’attendre de la jeune et brillante imagination de l’auteur.
G.-A. CRAPELET