Poésies de Mlle Élisa Mercœur (1829)

Le songe, ou les Thermopyles

Oui, d’un sommeil de fer la Grèce enfin s’éveille.
Hyacinthe Gaston, la Résurrection de la Grèce, dithyrambe.

Silence, enfants des Grecs, à tous vos chants de mort !
Vous ne traînerez plus la chaîne des esclaves ;
Sur la rive sanglante et pour le front des braves
Les palmes des guerriers reverdiront encor.

Mais vous qu’enorgueillit un éclair de victoire,
Vous tomberez, courbés par un souflle vengeur,
Quand le noble martyr emportera, vainqueur,
      Tout une éternité de gloire.
    Réveillez-vous, fils de Léonidas :
Un moment de revers n’éteint pas le courage ;
Allez braver encor le destin des combats ;
    La liberté, voilà votre héritage :
      Des pleurs ne la rachètent pas.

Du sang des ennemis rougissez votre lance ;
Tous ceux dont vous foulez les ossements épars
    Vous ont laisse pour glaives leur vengeance,
      Leur souvenir pour étendards.

Le fardeau du malheur vainement vous opprime ;
Marchez ! le sort plus juste a marqué la victime,
Livrez-vous au désir qui s’éveille en vos cœurs.
Déjà, vous ombrageant de son aile divine,
Un ange protecteur sur vous plane et s’incline ;
      Et les échos de Salamine
Vont bientôt répéter vos chants triomphateurs.

Écoutez : À cette heure où le sommeil réclame
Nos membres fatigués qu’enchantent ses douceurs,
Où nos sens engourdis laissent veiller notre âme,
Où la pensée est libre en ses vagues erreurs,

      La mienne colorait un songe
      D’un reflet de la vérité ;
Mais rêver vos succès n’était pas un mensonge ;
Et vous me répondrez de la réalité.

Les flots avec lenteur venaient frapper la plage,
Dans les champs de l’éther brillait un seul rayon,
Et déjà, se courbant au lointain horizon,
Les ombres s’inclinaient sur l’antique rivage.
Là, chancelante Grèce, en tes jours solennels
La gloire, des tyrans l’implacable ennemie,
En pleurant les malheurs de sa noble patrie,
À creusé le tombeau de trois cents immortels.
Mais que viens-tu chercher dans le désert immense,
Où veille maintenant le triste oiseau des nuits ?
Il crie, et, de sa voix effrayant le silence,
Paraît fier de régner sur ces muets débris.
Le silence ! toujours…. seul je pressais la terre
Qui depuis si long-temps pèse sur leur cercueil.
Tout reposait, hélas ! et le flot solitaire
Paisible s’approchait pour dormir sur l’écueil.
Là, vainement l’oubli voulait jeter un voile
Sur un long souvenir qu’il croyait effacé ;
L’Hellénie à mes yeux était comme une étoile
Promenant sa lueur dans la nuit du passé.

Quel est ce bruit léger qui près de moi résonne ?
      Serait-ce une haleine des mers ?
Ou la brise du soir soupire et frissonne
      En jetant un son dans les airs ?
Non, ce n’est pas le bruit de ces vagues tranquilles,
Ce n’est pas un long souffle égaré sur mes pas ;
Chante un hymne vainqueur, lyre aux cordes mobiles,
      C’est le héros des Thermopyles,
      C’est l’ombre de Léonidas !

O toi dont ces rochers ont gardé la mémoire,
Viens-tu de tes enfants dompter les oppresseurs ?
      Viens-tu reconquérir leur gloire ?
      Viens-tu gémir sur leurs malheurs ?…
Et lui, le front brillant d’une sainte espérance,
Montrait de ses lauriers les rameaux triomphants ;
Puis, de son doigt levé m’imposant le silence,
      Me fit entendre ces accents :

      « Pourquoi des pleurs, vieille patrie ?
« Est-ce donc un tribut aux peines du moment ?
« Pour un jour de repos, quand son réveil t’attend,
« As-tu droit d’accuser la victoire endormie ?

« Guerriers, opposez-vous au destin irrité
« Qui vous courbe un instant sous le joug de l’esclave ;
« Marchez ! qui vous retient ? Quand expire le brave,
« Il tombe…. mais s’élève à l’immortalité.

« Eh quoi, sans l’effacer vous souflririez l’outrage,
« Hellène ! vous tremblez. Qui vous glace aujourd’hui ?
      « Le feu dévorant du courage,
      « Comme un éclair pendant l’orage,
      « Déjà s’est-il évanoui ?

« Le Grec méconnaît-il le bonheur d’être libre ?
« Libre ! ce mot est tout : combien il a d’appas
« Comme un céleste écho mélodieux il vibre ,
      « Et vous ne l’entendriez pas !

« Qu’il vous souvienne encor que jadis, à Platée,
« Mardonius aux Grecs opposant ses efforts,
      « Son audace arrêtée,
« L’envoya sans triomphe au rivage des morts.

« Sous un sceptre de fer abaissant l’infidèle,
« Le trépas va frapper ; qu’écoutez-vous ?… Des cris ?…
« D’un éphémère orgueil le monument chancelle,
« Il croule !… Ce n’est plus qu’un monceau de débris.

    « Précipitez du faîte de son trône !
« Celui qu’un bras vengeur bientôt saura punir :
« Saisissez vos drapeaux ; à ma voix qui l’ordonne,
« À l’honneur qui le veut, hâtez-vous d’obéir.

« Vos nobles compagnons dans les cieux vous attendent ;
« Une place près d’eux reste encore à remplir ;
« Ah ! prenez-la, songez que vos fils vous demandent
« La liberté, la gloire, et votre souvenir.

« Quand au feu qui languit s’unit une autre flamme,
« C’est bientôt d’un bûcher la pétillante ardeur ;
      « Ainsi, pour brûler votre cœur,
« L’âme de vos aïeux va s’unir à votre âme.

« Que ce feu qui échappé du tombeau
« Vers les champs de l’honneur vous guide, vous entraîne ;
« Grèce, relève-toi ! de ta pesante chaîne
      « Se brise le dernier anneau.

« Je vais donc retrouver mon antique patrie :
« Je la vois s’élançant, intrépide aux combats ;
« Loin d’elle un lâche effroi, lorsqu’elle se confie
      « Aux accents de Léonidas.

« L’esclavage n’est plus : sa gloire qui s’achève
« Embellit de lauriers son front victorieux ;
« Au temple de la paix elle suspend le glaive,
« Et ses vœux, son encens, vont monter vers les cieux. »

Il dit ; et dans les flots de l’océan des mondes
Il se perd élevé sur un char vaporeux :
Il dit ; et maintenant c’est du bruit seul des ondes
Que gémit au désert l’écho silencieux.

Noble Léonidas, que le tyran succombe ;
Qu’il meure : contre lui viens diriger leurs bras,
Et que les Grecs vengés montrent qu’ils ne t’ont pas
Réveillé vainement du sommeil de la tombe !

Oui, que, dignes encor du nom de tes enfants,
N’écoutant plus la voix de leurs craintes stériles,
Ils frappent !… Et bientôt, revenus triomphants,
Que du sang des bourreaux leurs glaives dégouttants
      Se déposent aux Thermopyles.

(Janvier 1827)

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