Ce qui est dans le cœur des femmes: Poésies nouvelles (1852)

Les résidences royales

Avec leurs longues avenues,
Leurs silencieuses statues
Se mirent dans les bassins ronds ;
Leurs grands parcs ombreux et profonds,
Leurs serres de fleurs des tropiques.
Et leurs fossés aux ponts rustiques,
Ils sont pour nous, ces vieux palais,
Ils sont pour nous : habitons-les !

Bras enlacés, âmes rêveuses,
Promenons nos heures heureuses
Sous les tonnelles des jardins,
Dans les bois où passent les daims ;
Traversons les courants d’eau vive
Sur la nef qui dort à la rive.
Ils sont pour nous, ces vieux palais,
Ils sont pour nous : habitons-les !

Allons voir, dans les vastes salles,
Les portraits aux cadres ovales,
Morts radieux toujours vivants :
Grandes dames aux seins mouvants,
Cavaliers aux tailles cambrés,
Exhalant des senteurs ambrées.
Ils sont pour nous, ces vieux palais,
Ils sont pour nous : habitons-les !

Sur le banc des orangeries,
Dans l’étable des métairies
Où les reins buvaient du lair,
Dans le kiosque et le chalet,
Aux terrasses des galeries,
Allons asseoir nos causeries.
Ils sont pour nous, ces vieux palais,
Ils sont pour nous : habitons-les !

Sous le fronton de jaspe rose,
Où l’amour sourit et repose,
Cherchons le bain mystérieux,
Le bain antique aimé des dieux :
Diane et ses nymphes surprises
Courent sur le marbre des fraises !
Ils sont pour nous, ces vieux palais,
Ils sont pour nous : habitons-les !

Lisons dans les forêts discrètes
Les gais conteurs et les poëtes :
Le murmure des rameaux verts
S’harmonie à celui des vers,
Et les amoureuses paroles
S’épanchent en notes plus molles.
Ils sont pour nous, ces vieux palais,
Ils sont pour nous : habitons-les !

Dans les ravins aux pentes douces,
Sur les pervenches, sur les mousses,
Doux lit où se voile le jour,
A la lèvre monte l’amour ;
L’ombre enivre, l’air a des flammes,
En une âme Dieu fond deux âmes.
Ils sont pour nous, ces vieux palais,
Ils sont pour nous : habitons-les !

L’horizon déroule à la vue
Le lac à la calme étendue,
Où par couples harmonieux
Les cygnes fendent les flots bleus ;
Plages, collines et vallées
Sou nos regards sont étalées
Ils sont pour nous, ces vieux palais,
Ils sont pour nous : habitons-les !

Chantilly dort sous ses grandes chênes,
Rosny, Chambord, n’ont plus de reines ;
Leurs maîtres, ce sont les amants
Savourant leurs enchantements ;
Oû les royautés disparaissent,
Les riants amours renaissent.
Ils sont pour nous, ces vieux palais,
Ils sont pour nous : habitons-les !

15 juin 1852

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