Ce qui est dans le cœur des femmes: Poésies nouvelles (1852)

Les anglaises

BOUTADE

Si ce siècle est humanitaire,
La mode à coup sûr ne l’est point :
Pour empire sur notre terre,
Exclusive, elle n’a qu’un point :
C’est la France, où, reine et déesse,
Son culte est le seul respecté ;
Où chaque femme est sa prêtresse,
Sous peine de lèse-beauté !
— Mais l’Amérique et l’ Angleterre !…
— Mesdames, n’y regardez pas,
De peur qu’un fou rire n’altère
La grâce de vos frais appas !
Là, ni charme, ni poésie,
L’élégance y meurt de dégoût ;
La femme de la bourgeoisie,
A Paris modèle de goût,
Revêt à Londres, quoique sage,
Les atours de nos Frétillons,
Ambulant et fol étalage
Des modes que nous exilons.
Belles et railleuses Françaises,
De la tete aux pieds regardez
Ces efflorescentes Anglaises,
Le cou tendu, les bras guindés !
Chapeau rose où sont étouffées
Plumes, dentelles, gazes, fleurs,
Longues boucles ébouriffées,
Lourds repentirs, accroche-cœurs ;
Et, provoquant les cœurs rebelles,
Mantelet de fausses dentelles
Où le colon singe le fil ;
Corsage ouvert jusqu’aux aisselles,
Broche brillant sur le nombril,
Jupe, barége ou mousseline,
En spirale de falbalas,
Cône gonflé du haut en bas
Par la menteuse crinoline ;
En place de nos fines peaux,
Soulier de caoutchouc difforme,
Caparaçon de pied énorme
Comme une tortue au repos.
Gros bracelets de malachite
Autour de bras inélégants,
Volubilis ou clématite
Brodés en relief sur leurs gants ;
Air ravi, pose indescriptible,
Disant : Qui me résisterait !
Cependant l’Anglais impassible
Reste de glace à tant d’attrait…
Il a, pour réchauffer son âme,
La Chambre, le club, le houblon,
Et, dédaigneux, cherche la femme
Dans les marbres du Parthénon1.
1851

1. Les plus beaux marbres du Parthénon d’Athènes sont dans le musée de Londres.

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