Louise Colet : Le rayon intérieur
Ce qui est dans le cœur des femmes: Poésies nouvelles (1852)
Le rayon intérieur
Si mes larmes tarissent vite,
Si je souris quand j’ai pleuré
Que le monde accoure ou m’évite
Si mon cœur n’est jamais navré.
Si je suis sereine à l’offense
Comme indifférence à l’encens,
Si j’affronte avec innocence
Ce qui jadis troublait mes sens,
Conjurant les jours de misère,
Si la nuit, seule, en travaillant,
Je porte ma douleur légère
Comme un enfant imprévoyant,
Si contre ceux qui, dans la vie,
Me blessèrent d’un trait cruel.
Mon inimitié fut suivie
De la paix que l’on sent au ciel,
Si le vertige des richesses
Monte vers moi sans n’éblouir,
Me souvenant d’autres ivresses
Dont aucun or ne fait jouir,
Si chaque grandeur du génie,
Si chaque émotion de l’art.
Si chaque touchante harmonie
Vient mouiller de pleurs mon regard,
Si les voix de l’intelligence,
Si la nature et la beauté,
Comblent de leur magnigicence
Mon opulente pauvreté,
Si l’heure qui succéde à l’heure
Sur mon horizon toujours pur,
Me trouve plus tendre et meilleure,
L’esprit planant d’un vol plus sûr,
C’est que je porte dans mon âme
Un rayon que rien ne pâlit ;
De sa lumière et de sa flamme
Tout s’éclaire et tout s’embellit,
Lampe immortelle qui me veille,
Clarté qui renaît chaque jour
Plus pénétrante que la veille,
Ce rayon, c’est toi, mon amour !