Ce qui est dans le cœur des femmes: Poésies nouvelles (1852)

Deuil

En me voyant passer sous mon vêtement noir,
Ils disent, me jugeant comme ils jugent la femme :
Ce deuil n’est qu’apparent, ce deuil cache l’espoir…
L’espoir ! vous qui parlez, regardez dans mon âme !

Comme tous les débris des sentiments enfuis
La laissent à jamais morne et désenchantée,
Inerte et submergée aux flots des longs ennuis !
L’espoir pour le malheur, c’est le ciel pour l’athée.

C’est le doute incrédule à tout ce qui sourit,
À la parole amie, au regard qui caresse,
À la main enlaçant la nôtre avec tendresse,
Au cœur naïf plaignant notre cœur qui s’aigrit.

L’espoir, il rayonnait triomphant et sincère
Dans mes rêves d’amour, dans mes rêves d’orgueil,
Quand tu vins me chercher au tombeau de ma mère,
Toi pour qui j’ai repris ces vêtements de deuil.

Je les portais alors, triste et fatal augure,
Que nous avons bravé ; l’espoir était si beau,
Que des deux voix de Dieu, l’amour et la nature,
Chantèrent dans nos cœurs à côtés d’un tombeau.

Je marchais, souriante, à ton bras inclinée,
Le long des peupliers qu’éclairait le couchant ;
Sur la lande, un vieux pâtre entonnait un vieux chant,
À l’horizon flottait la Méditerranée.

Tous les chastes trésors en secret amassés
Dans une âme de vierge, entre toutes choisie,
Furent pour toi : candeur, fierté, foi, poésie,
Parfums mystérieux qu’en ton sein j’ai versés.

Oh ! comme le destin aurait pu nous sourire,
L’un sur l’autre appuyés, si tu l’avais voulu !
Tu le sais, maintenant que la mort t’a fait lire
Dans mon cœur, où, vivant, tu n’as jamais bien lu.

Je ne t’accuse pas, je me souviens, je pleure :
L’âme de mes enfants est éclose par toi ;
Et de ton sein glacé, jusqu’à ce que je meure,
Les derniers battements retediront en moi.

Quand j’ai pressé ton corps d’une étreinte suprême,
Quand j’ai fermé tes yeux d’un baiser déchirant,
Dans mon sein j’ai senti monter l’écho navrant
De ce beau jour d’hymen où tu me dis : Je t’aime !

Les autres t’oublieront ; moi, taisant ma douleur,
J’évoquerai ton ombre et j’en serai suivie.
À toi le plus sacré des amours de ma vie !
À toi le plus émus des regrets de mon cœur !

Mai 1851

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